Quand les musulmans sauvaient des juifs

Michael Lonsdale interprète le rôle du recteur de la Mosquée de Paris, Si Kaddour Ben Ghabrit
Michael Lonsdale interprète le rôle du recteur de la Mosquée de Paris, Si Kaddour Ben Ghabrit © DR
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Assiya Hamza avec Nicolas Poincaré , modifié à
Le film Les Hommes libres raconte l'histoire méconnue de la mosquée de Paris pendant la guerre.

C'est une page méconnue de l'histoire de la Résistance. Une page aujourd'hui dévoilée par le film Les Hommes libres d'Ismael Ferroukhi avec Tahar Rahim et Michael Lonsdale. Le long métrage raconte comment, pendant l'Occupation, la mosquée de Paris a sauvé de la déportation de nombreux juifs.

Younes est un jeune Algérien. En 1942, il vient travailler à Paris afin d'envoyer de l'argent au pays et décide de faire du marché noir. Mais un jour, il est arrêté par la police française. Les autorités lui proposent alors de conclure un marché : elles le laissent faire son petit commerce mais en échange il doit aller à la mosquée de Paris pour espionner. La police soupçonne le recteur Si Kaddour Ben Ghabrit, de délivrer de faux-papiers à des juifs et à des résistants. Younes accepte. Mais très vite, il se lie d'amitié avec un chanteur d’origine algérienne, Salim Halali, juif en réalité.

Regardez la bande-annonce du film :

Le réalisateur Ismael Ferroukhi s'est emparé d'une histoire vraie, celle de Salim Halali. Simon, de son vrai nom, fut un grand nom de la musique arabo-andalouse. Mort en 2005, il a connu une grande carrière après-guerre, suscitant même, d'aucun disent, l'admiration de l'Egyptienne Oum Kalthoum. Mais le parcours de ce jeune artiste, sauvé de la déportation par de faux papiers faisant de lui un musulman, n'est pas le seul aspect réaliste du long-métrage.

Car pour la première fois, le cinéma raconte l'histoire de ces quelques anonymes qui se sont engagés contre la barbarie nazie.

Combien sont-ils ? Combien de juifs ont été sauvés ? Difficile de répondre comme l'explique, le théologien musulman Ghaleb Bencheikh.

" Le nombre oscille entre quelques dizaines, d'autres vont jusqu'à 1732 juifs sauvés durant quatre ans par la mosquée de Paris", précise-t-il au micro d'Europe1. "Il y a deux raisons principales qui expliquent la méconnaissance de ce fait. La première incombe à l'action même du recteur Ben Ghabrit qui a du faire ça sans fanfaronner, ni ses successeurs d'ailleurs. Histoire de dire, fais le bien et oublie-le, d'une part", explique Ghaleb Bencheik sur Europe 1.

"D'autre part, à mon avis, il a dû agir en conscience et conformément à un verset coranique qui trouve un écho dans le Talmud : celui qui sauve une vie humaine, sauve l'humanité toute entière ; celui qui fait périr une vie humaine, tue l'humanité toute entière", poursuit le théologien.

"Mais je ne comprends pas pourquoi nos autorités politiques et même académiques ont laissé passé cet épisode de la résistance de notre pays. Peut-être que les fictions, conflits, heurts qu'il y a pu y avoir après  entre juifs et arabo-musulmans ont pollué cette période-là et cet épisode de l'histoire de Paris et de la Nation française", s'interroge Ghaleb Bencheikh.

"On a manqué de documents"

Pour Anne Marie Revcolevschi, ancienne directrice de la fondation pour la mémoire de la Shoah, certaines personnalités comme Serge Klarsfeld, "véritable historien", "savaient qu'il s'était passé certains évènements".

"Je crois que l'on a manqué de documents", explique-t-elle sur Europe 1. "Les historiens travaillent toujours sur des archives et il n'y avait pas d'archives. On sait qu'il s'est passé un certain nombre de choses dans cette mosquée mais comme on ne les a pas consignées, on ne sait pas vraiment quoi", déplore Anne Marie Revcolevschi.

"Il a fallu beaucoup de temps, que ce soit pour des musulmans ou pour des chrétiens, pour raconter ce qu'ils avaient fait. C'est la même chose avec les Justes de France", conclut-elle.

Des musulmans pourraient donc être reconnus comme Justes. Le statut des "Justes des nations" est décerné aux personnes qui ont risqué leur vie pour sauver des juifs. Mais la fondation Yad Vashem, à Jérusalem le décerne uniquement sur la foi de témoignages des personnes sauvées, de témoins oculaires et de documents fiables.  Là encore, le manque de traces écrites compliquent les choses.